Luidji, le rappeur qui n’en était pas un…

 

Il n’est pas non plus chanteur, musicien, compositeur, interprète… il est tout à la fois. A l’image de sa génération, il a choisi de ne pas choisir ; il emmerde les étiquettes et les boîtes trop petites pour lui. Sinon, pourquoi ouvrir son premier album, son « projet 0 » comme il l’aime à l’appeler, par « Les gens qui s’aiment », une complainte portée par un violon, composée par l’artiste, qui dénote des 16 autres titres. Et c’est bien là qu’est la force de cet album. Il ne suit aucun chemin, aucune route, il n’est pas d’une forme, mais de plusieurs. Il n’est pas d’une identité, mais multiculturel et ouvert sur le monde. Après plus de 10 ans dans la musique, l’artiste se sent plus libre. Libre de se dévoiler, et surtout de raconter son histoire, telle qu’elle est, sans fard ni artifices. Les 17 titres de « Tristesse Business » sont autant de facettes que d’émotions qui représentent l’artiste de 28 ans. Parfois sombre, souvent mélancolique, quelques fois drôle, l’album de Luidji n’est pas un album de rap, de chanson française, ou de variété, il est tout à la fois. Rencontre avec un rappeur qui n’en est pas un. Interview.

 

OFIVE : Quand est-ce que tu es tombé amoureux de la musique ?

Luidji : Aux alentours de mes 16 ans ; je n’avais pas beaucoup d’affinités avec la gente féminine à l’époque, et c’était le seul exutoire que j’avais. Ça me permettait un peu d’oublier mon quotidien de lycéen.

 

OFIVE : Il y a eu un moment en particulier dont tu te souviens ?

Luidji : Ouais, quand j’ai écouté « The Massacre » de 50 Cent. Je le trouvais hyper fort, et il avait des refrains super efficaces. C’est le premier mec dont je me suis inspiré.

 

« Si on écoute l’album de A à Z, ça retrace les 4 dernières années de mon parcours. »

 

OFIVE : On parle souvent de story-telling quand on parle de cet album, c’est quoi l’histoire de Luidji ? Et de cet album ?

Luidji : L’histoire de Luidji est liée à celle de l’album parce que j’y raconte mon histoire, je raconte qu’à une époque, j’étais signé en maison de disques en tant qu’artiste à la sortie de la fac… Dans l’album, je raconte que j’avais une copine avec qui j’ai eu une relation longue, je raconte aussi que je l’ai trompée avec une autre meuf, j’y raconte que j’ai quitté ces deux meufs pour ensuite sortir la tête de l’eau et pouvoir me recentrer sur moi-même. J’y raconte comment j’ai commencé à vouloir m’accomplir moi-même. Cet album raconte ma quête, l’histoire de Luidji et l’histoire de l’album sont complètement liées. Et si on écoute l’album de A à Z, ça retrace les 4 dernières années de mon parcours.

 

OFIVE : Est-ce qu’on peut parler d’un album introspectif ?

Luidji : Je vois plus ce projet comme un projet zéro qui pose les bases d’une nouvelle ère. Quand je suis parti de ma maison de disques, mon équipe et moi avons repris le travail en indépendant, on a ressorti des morceaux, on a créé une playlist qu’on alimentait régulièrement. Et cette playlist était un peu le brouillon de cet album, il m’a servi à savoir où je voulais aller au niveau des sonorités et des lyrics. Il m’a également permis d’exorciser toutes les difficultés que j’ai vécu à une époque et qui m’ont hanté avec le temps… J’ai tout retranscrit dans cet album pour pouvoir enfin passer à la suite et pouvoir ouvrir d’autres sujets.

 

OFIVE : C’est pour ça que tu as appelé cet album « Tristesse Business » ?

Luidji : Exactement… Je me suis servi de ma tristesse de l’époque pour en faire un business. Et pour moi, le business, ce n’est pas forcément à connotation financière, ça a plus une connotation d’accomplissement et de croissance.

 

OFIVE : A qui s’adresse cet album ? A une femme en particulier, aux femmes en général, aux médias ? Aux maisons de disques ? Aux autres rappeurs ?

Luidji : En réalité, les deux femmes dont je parle dans l’album sont concernées par l’histoire vu qu’elles en sont des pièces maîtresses. Je savais que c’est par la sincérité que j’allais toucher d’autres personnes. Même si je m’adresse à une femme ou une autre en particulier, en réalité, je m’adresse à elles à travers des histoires communes à tout le monde, et c’est ce qui crée la relation particulière que j’ai avec les gens qui me suivent aujourd’hui. On peut avoir des discussions sur des tonnes de sujets sans
parler pour autant de ma musique, même si la musique est la base du débat.

 

« Je pense qu’il y a beaucoup de rappeurs qui s’intéressent à la chanson française. »

 

OFIVE : Pourquoi avoir choisi de débuter ton album par cette introduction (« Les gens qui s’aiment ») qui fait très chanson française, qui n’a rien à voir avec le reste de l’album et qui dénote des albums rap ?

Luidji : Je pense qu’il y a beaucoup de rappeurs qui s’intéressent à la chanson française. C’est un morceau que j’ai fait il y a 4 ans, que j’ai entièrement composé. « Les gens qui s’aiment » est un peu le fil rouge de l’album. Tout le long je parle d’amour, ça peut être
ma copine de l’époque et moi, les gars avec qui j’ai décidé de faire mon chemin, la musique et moi… Et si j’ai choisi l’appellation « saison » 1, c’est parce que je l’ai vu un peu comme une série et que ce titre en serait le générique.

 

OFIVE : Dans cet album, il y a un mélange de styles. On passe de la chanson française à la pop, au rap, à la bossa nova, à l’électro en passant par des notes de disco. D’où vient cet éclectisme ?

Luidji : Déjà, il y a un truc que je déteste ressentir quand j’écoute un album, c’est m’ennuyer. J’ai vraiment horreur de ça. Je voulais aussi que sur 17 tracks, on ressente 17 émotions différentes, et qu’on ressente au maximum ce que j’ai pu ressentir quand
j’ai vécu ces trucs là. Donc, j’ai dû forcément adopter des styles différents. Par exemple, je ne peux pas exprimer l’évasion que j’exprime sur « Nazaré » comme je vais expliquer la tristesse sur « Système ». Et c’est le fait aussi de m’être intéressé depuis
mon plus jeune âge à plein de courants musicaux différents, de par mes parents notamment, qui a fait que je me sens à l’aise sur beaucoup de styles et qu’on ne perd pas l’identité de Luidji tout au long des tracks, et qu’on ne s’ennuie pas. Ce qui fait que quand on écoute l’album de 52 minutes, on n’a jamais l’impression de s’ennuyer.

 

« Je n’ai vraiment pas envie qu’on m’assimile à un style en particulier et qu’on me range dans une case. C’est pour ça que je brouille les pistes. »

 

OFIVE : Tu refuses qu’on te range dans une case ?

Luidji : Je n’ai vraiment pas envie qu’on m’associe à un style de musique en particulier. Je veux qu’on puisse diffuser de la musique de Luidji partout. J’ai envie d’aller en boîte et d’écouter « Mauvais réflexe » ou « Basquiat », que je puisse aller en festival et jouer « Néons rouges », je n’ai vraiment pas envie qu’on m’assimile à un style en particulier et qu’on me range dans une case. C’est pour ça que je brouille les pistes, c’est pour ça qu’on a sorti « Néons rouges » en premier et ensuite « Mauvais réflexe », les deux étant à l’opposé. C’est justement pour créer de la confusion dans la tête des gens et se dire que dans la musique aujourd’hui, tout le monde écoute tout. C’est un truc qui me fait kiffer !

 

OFIVE : C’est de là qu’est venue l’idée de la playlist évolutive ? Est-ce que tu peux en expliquer le concept ? Est-ce que pour toi ce concept correspond plus à la nouvelle consommation de la musique aujourd’hui ?

Luidji : L’idée vient de Medi, mon Community Manager. On n’avait pas l’impression de lancer une idée révolutionnaire à l’époque. Ça permettait de faire évoluer un album dans le temps. La variété qu’il peut y avoir entre les morceaux d’une playlist, ça je sais que ça va arriver de plus en plus. C’est l’essentiel de ma musique. Je l’ai fait en pensant à la scène. Pour qu’il y ait de la dynamique et de la variété. Je pense de manière générale qu’il y aura plus de variété dans les albums, et les morceaux vont être de plus en plus courts.

 

« Je sens que quand je touche les femmes avec un morceau, je vais toucher tout le monde. »

 

OFIVE : Les femmes sont un thème récurrent dans ta carrière, quelles places occupent-elles dans ta vie ?

Luidji : J’aime trop les femmes, j’aime leur présence. Je peux avoir envie de la compagnie d’une femme sans avoir des arrière-pensées. J’ai l’impression que le cerveau des femmes est différent de celui des hommes, qu’il a ses propres mécanismes, sa
propre méthodologie de pensée, ce que je trouve très intéressant. Je pense que chaque homme a une femme pour le compléter. Je sens que quand je touche les femmes avec un morceau, je vais toucher tout le monde. Donc, c’est comme une espèce de baromètre pour moi. Et puis, il y a un côté féminin en moi que je n’ai jamais renié.

 

OFIVE : Le thème de l’eau est très présent sur cet album. Pourquoi ?

Luidji : Ça date de l’époque dont je me suis inspiré pour écrire le titre « Le Remède » où je dis que pour éviter de penser à celle qui vient de me quitter, je l’imagine en train de se faire terminer par un autre mec, et ça me fait du bien. A l’époque, mes amis comptaient partir à Marseille pendant quelques jours, je n’avais pas la tête à les accompagner et une amie de mon père dont je suis très proche m’a conseillé de partir et de plonger dans l’eau. Elle m’a expliqué qu’à chaque fois que j’en ressortirai, c’est
comme si je laissais une partie de mes douleurs dans l’eau. Dès le premier jour, je l’ai fait et ça m’a fait du bien. Je ne pensais pas que ça allait être aussi salvateur.

 

OFIVE : Dans un post Instagram, tu écris que tu te sens guéri, mais de quoi ?

Luidji : Cette histoire de rupture m’a pourri la vie, je ne faisais plus de son, j’avais pas du tout la tête à la musique, j’avais quitté la fac pour signer dans un label qui ne comprenait rien à ma musique, donc vis-à-vis de mes parents, c’était compliqué aussi. J’étais retranché chez mon pote. Il y avait tellement de choses qui n’allaient pas que je n’arrivais plus à rien, plus à composer, plus à écrire. Je cherchais la réponse à l’intérieur de moi. Je me demandais comment j’allais faire.

 

OFIVE : Et ça a été quoi le déclic ?

Luidji : « Marie-Jeanne » ! Un jour, plutôt que de s’ennuyer chez mon pote, on est allé en studio. Et le premier morceau qu’on a fait, c’était « Marie-Jeanne », qui est aujourd’hui mon morceau le plus triste. Une fois qu’on a balancé le son, j’ai vu les commentaires, le
nombre de vues, etc. et c’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il se passait quelque chose.

 

« Il y a beaucoup de rappeurs qui sont devenus des clichés d’eux-mêmes. »

 

OFIVE : Dans un autre message Instagram, tu fais référence à deux mots : Amour et Résilience… Est-ce que ce sont des mots qui résument ton parcours ?

Luidji : Oui, ça aurait pu être le nom de l’album. Le mot résilience, je l’ai découvert après la sortie de l’album. Parce que j’ai l’impression que c’est tout ce qu’on a quand on est désarmé face aux embûches que l’on peut rencontrer sur le long chemin qu’est la vie. La résilience est tout ce dont on peut faire preuve quand il ne reste plus rien. Sans l‘amour des gens qui m’entourent aujourd’hui, je n’aurais jamais fait ce qu’on a fait jusque-là. C’est un précepte qui n’a pas de limite. S’il y a un truc dont j’ai toujours
été certain, c’est que j’adore écrire, j’adore être en studio, être sur scène, mais j’ai vraiment du mal avec les à-côtés, l’espèce d’attention privilégiée que l’on va te donner parce que tu fais ce que tu fais. Il y a beaucoup de rappeurs qui sont devenus des clichés d’eux-mêmes. On dit souvent que le 3ème , 4ème , 5ème album des artistes est mauvais parce qu’ils ont été pourris par le succès et l’argent, mais c’est eux qui ont décidé ça. Aujourd’hui, je n’ai jamais fait autant d’argent avec la musique, et pourtant je ne me suis jamais autant foutu de cet argent. J’ai l’impression que ça va beaucoup plus loin que ça. Il y a une quête plus valorisante que d’encaisser des ronds.

 

OFIVE : Ça fait un peu plus de 10 ans que tu écris, quel bilan tu fais sur ta carrière ?

Luidji : Ça fait 10 ans que je fais de la musique, et j’ai l’impression que ça fait 9 ans et demi que je m’entraîne. A savoir quel est le vrai but de ma vie, et j’ai l’impression de l’avoir trouvé depuis 1 an. C’est cet album qui m’a octroyé cette liberté. J’y raconte tout, je
me livre comme jamais. En réalité, c’est secondaire que les gens puissent l’écouter, je l’ai fait pour moi avant tout.

 

OFIVE : Depuis 2017, tu es le fondateur d’un label indépendant baptisé Foufoune Palace, quelle vision tu as pour ce label ?

Luidji : J’ai les mêmes convictions et les mêmes espérances que pour mon album, j’ai envie que cet album rapporte une certaine fraîcheur, qu’il change les mentalités, les méthodes de travail etc. J’ai envie qu’il représente la première marche du label pour
pouvoir se lancer. Que ça crée une synergie positive.

 

OFIVE : Premier album que tu as acheté ?

Luidji : « A chaque frère » de Youssoupha que j’ai acheté en même temps que « Autopsie volume 1 » de Booba.

 

OFIVE : Dernier album écouté ?

Luidji : Je crois que c’est Toro y Moi. C’est très aérien comme musique. Un peu lounge.

 

OFIVE : Prochaine actu ?

Luidji : J’espère qu’on va tourner le plus possible ! Pour défendre un projet aussi atypique, il va falloir être aussi très forts sur scène. Donc on prend notre temps. Dès la rentrée, on va pouvoir annoncer quelques dates.

 

OFIVE : Un dernier mot ?

Luidji : Amour et résilience pour tous !

 

Interview par Tannen